Cet événement, co-organisé par le Consortium APAC, Maliasili, l'Institut Luc Hoffmann et la CPEES de l'UICN, s’est penché sur les valeurs fondamentales qui devraient guider les relations et les partenariats, ainsi que les déséquilibres de pouvoir qui les caractérisent souvent. Dans l'ensemble, cette rencontre a souligné combien il est important de revoir notre conception des partenariats à la lumière des perspectives des Peuples Autochtones et des communautés locales, sous la forme de réseaux de solidarité et de soutien
First published on 02/07/2023, and last updated on 03/15/2023
Par Jessica Campese (Membre d’Honneur du Consortium APAC) et Holly Jonas (Coordinatrice internationale du Consortium APAC)
Traduction par Marie-Line Sarrazin, Patricia Iacob, Océane Biabany, Gaëlle Le Gauyer et Mathilde Craker.
Bien qu’ils soient confrontés à des injustices structurelles et systémiques, les Peuples Autochtones et les communautés locales jouent un rôle incontestable pour garantir une planète saine pour toutes et tous par leurs cultures, leurs systèmes de gouvernance et leurs modes de vie. Au cours des dernières années, leurs droits, leurs rôles et leurs contributions ont reçu une reconnaissance et un soutien grandissants, notamment dans le domaine du savoir, des lois et des politiques, des mécanismes financiers et du grand public. Les négociations et les résultats de la 15ème Conférence des Parties (COP15) à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (CDB), qui a abouti à l’adoption par les Parties du nouveau cadre mondial pour la biodiversité, ont mis en évidence à la fois cette évolution et les obstacles et défis qui subsistent en matière de reconnaissance et de soutien.
Alors que de plus en plus de personnes et d’organisations cherchent à offrir un soutien aux Peuples Autochtones et aux communautés locales, il est d’une importance vitale de réfléchir à la nature même des relations et des partenariats, notamment aux valeurs fondamentales qui devraient les guider et aux déséquilibres de pouvoir qui les caractérisent souvent. Lorsque l’on pense aux partenariats dans le domaine de la conservation, les premières entités qui viennent souvent à l’esprit sont les ONG, les bailleurs de fonds et les gouvernements. Il existe une pression croissante pour réimaginer et redéfinir les partenariats et les organisations de manière à respecter et à soutenir véritablement les priorités auto-déterminées des Peuples Autochtones et des communautés locales pour leurs terres, leurs eaux et leurs territoires de vie collectifs.
Outre ces « partenariats traditionnels » au nom de la conservation, les Peuples Autochtones et les communautés locales disposent souvent de réseaux étendus et diversifiés qu’ils activent de diverses manières. Par exemple, lorsqu’ils défendent leurs territoires contre des industries destructrices, lorsqu’ils cherchent à obtenir un soutien pour un programme d’éducation autochtone ou lorsqu’ils partagent leurs expériences et leurs compétences avec leurs pairs. Revoir le concept de partenariat du point de vue des Peuples Autochtones et des communautés locales et sous la forme de réseaux de solidarité et de soutien peut contribuer à montrer des voies plus appropriées pour celles et ceux qui offrent leur soutien.
Pour examiner ces questions importantes, poursuivre la réflexion sur les partenariats existants et reconfigurer la nature des partenariats à l’avenir, le Consortium APAC, Maliasili, l’Institut Luc Hoffmann et la Commission des politiques environnementales, économiques et sociales (CPEES) de l’UICN ont organisé conjointement un événement parallèle pendant la COP15 de la CDB. Tenu le 7 décembre 2022 de 18h15 à 19h45 HE, l’événement « Toutes nos relations : Explorer le rôle des relations, des partenariats et des réseaux dans le soutien aux priorités auto-déterminées des Peuples Autochtones et des communautés locales » fut constitué de trois « tables rondes éclair » avec des personnes modératrices et des panélistes de divers horizons.
Après l’allocution d’ouverture des co-modératrices Inés Hernández (Institut Luc Hoffmann) et Holly Jonas (Consortium APAC), les personnes participantes ont noué des liens entre elles en partageant une expérience personnelle marquante en matière de partenariats (qu’elle ait été positive, négative ou autre) du point de vue de leur communauté, de leur organisation ou d’un autre contexte. L’objectif était de souligner les apprentissages et d’identifier les caractéristiques ou les éléments fondamentaux qui caractérisent des partenariats sains capables d’offrir un soutien approprié.
Lors de la première table ronde, intitulée « Comprendre le cœur des relations », des leaders autochtones de Birmanie/Myanmar, du Kenya et de Colombie ont identifié les valeurs fondamentales qui guident les relations au sein de leurs communautés et territoires ainsi que les éléments clés et les plus significatifs de ces partenariats. Lors de la deuxième table ronde, intitulée « Redéfinir les partenariats « traditionnels » », des championnes du changement travaillant pour une ONG internationale de conservation, pour un bailleur de fonds et pour une agence multilatérale nous ont parlé de ce qui doit se passer dans leurs secteurs pour inaugurer une nouvelle génération de partenariats respectueux et équitables avec les communautés. Lors de la troisième table ronde, nous avons entendu les perspectives de deux personnes qui innovent dans des domaines d’expertise et des formes de changement social bien établis et qui aident les communautés à tisser divers réseaux de solidarité et de soutien.
Nous vous invitons à explorer les sections ci-dessous pour en savoir plus sur les conversations ont eu lieu pendant cet événement.

TABLE RONDE ÉCLAIR 1 : COMPRENDRE LE CŒUR DES RELATIONS
Modératrice : Latoya Abulu est éditrice pour Mongabay et couvre les sujets en lien avec les Peuples Autochtones, les solutions fondées sur la nature et les écosystèmes à haute valeur de conservation. En tant que journaliste de terrain, elle a couvert les enjeux environnementaux ayant un impact sur les Peuples Autochtones et les communautés locales en Équateur, au Nicaragua, en Corée du Sud, au Japon, en Chine et lors de conférences des Nations Unies. Son travail a été présenté dans The Diplomat, Asia Times, Japan Times, Earth Island Journal, The Ecologist et d’autres médias.
Panélistes:
Saw Paul Sein Twa est issu du Peuple Autochtone Karen de Birmanie/Myanmar, cofondateur et directeur du Karen Environmental and Social Action Network (Réseau karen d’action sociale et environnementale, KESAN) et président du Parc de la paix de Salween, qui protège le dernier grand fleuve sans barrage d’Asie et 5 485 km2 de biodiversité d’importance mondiale. En 2020, le Parc de la paix de Salween a reçu le Prix Équateur et Paul lui-même a reçu le Prix Goldman pour l’environnement en Asie.
Milka Chepkorir est membre du Peuple Autochtone Sengwer des collines de Cherang’any au Kenya et coordonne l’axe de travail du Consortium APAC sur la défense des territoires de vie. Elle a été boursière autochtone du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits humains (HCDH) en 2016, boursière en justice environnementale au Centre kényan de Natural Justice en 2020 et a récemment coordonné Community Land Action Now (CLAN), un réseau de communautés rurales kényanes s’efforçant de faire reconnaître leurs terres communautaires.
Nataly Domicó Murillo est une leader et conseillère autochtone du Peuple Embera. Elle enseigne au sein du programme autochtone « Licenciatura en pedagogía de la Madre Tierra » (Licence en pédagogie de la Terre Mère) à l’université d’Antioquia et est actuellement coordinatrice nationale du réseau national des APAC–territoires de vie de Colombie, TICCA-Colombia.
Latoya Abulu (de Mongabay) a présenté les panélistes et a mentionné que les droits, les rôles, les connaissances et les contributions des Peuples Autochtones bénéficient d’une reconnaissance et d’un soutien grandissants dans les lois, les politiques, les mécanismes financiers et par le grand public. Elle a aussi relevé l’importance de réfléchir à la nature des relations et des partenariats, notamment aux valeurs fondamentales qui, selon les leaders autochtones, devraient les guider. Elle a souligné que, lors de la dernière COP sur le climat, plus de 300 délégués autochtones ont participé à la conférence et qu’un nombre encore plus important s’était inscrit à la COP15 de la CDB. Elle a invité les personnes participantes à écouter les points de vue des panélistes et à s’efforcer de mieux comprendre les nuances de ce qui, selon elles, constitue des relations respectueuses avec les Peuples Autochtones et les communautés locales. Elle a posé deux questions larges à l’intention des panélistes.
Q : Quelles sont les valeurs fondamentales qui guident les relations avec vos communautés et territoires ainsi que les relations en leur sein ?
Milka Chepkorir (du Peuple Sengwer) a partagé ses réflexions sur la façon dont, du point de vue d’une femme autochtone, les relations de sa communauté avec la terre et les forêts sont fondées sur l’humilité, la réciprocité et le respect :
Nous ne sommes pas plus grands que les arbres ou l’eau ; ces deux éléments peuvent être plus puissants que quiconque, comme nous pouvons le constater avec les tsunamis et les sécheresses. Nous sommes ce que nous sommes parce qu’ils sont ce qu’ils sont. Les communautés savent ce que nous savons, et savent quoi partager avec les jeunes générations grâce à ce que nous avons appris à travers ces relations. La réciprocité occupe une place importante en tant que valeur fondamentale pour guider les relations, non seulement avec les ressources, mais aussi entre nous. Nous avons autant de respect pour les éléments humains que pour les éléments non humains de la nature. Grâce à cette valeur fondamentale, ma communauté n’a pas besoin de parler des humains comme étant séparés de la nature ; nous sommes la même chose, réunis par des valeurs de respect et d’humilité.
Paul Sein Twa (du Peuple Karen) a réfléchi aux menaces croissantes qui pèsent sur son territoire en Birmanie/Myanmar et au rôle du Parc de la paix de Salween pour y répondre :
Le Peuple Karen entretient des valeurs relationnelles avec ses territoires ancestraux. Kawthoolei [notre territoire ancestral] est géré de manière holistique par les connaissances et les philosophies autochtones et nous nous considérons comme les gardiens ou les garants de ce territoire. Un être spirituel surplombe ce territoire : il veille sur nous et guide les personnes pour garantir qu’elles n’abusent pas des ressources offertes par la terre. Nous demandons la permission pour tout ce que nous prenons et si nous prenons plus que ce dont nous avons besoin, nous serons punis par l’être spirituel.
Les aînés de la communauté sont étroitement liés à la terre. Après des décennies de guerre civile et l’expulsion forcée et continue de leur terre, les aînés et les membres de la communauté sont dans la douleur. Beaucoup se sont suicidés. Dans ce contexte, les communautés Karen ont créé le Parc de la paix de Salween dans le cadre d’efforts continus pour retrouver, retourner et se reconnecter à nos terres et territoires. La paix signifie que nous pouvons nous réconcilier avec les êtres spirituels et être ensemble les gardiens et gardiennes de notre terre, de nos territoires et de notre biodiversité.
Nataly Domicó Murillo (du Peuple Embera) a parlé de la relation de sa communauté avec la Terre-Mère :
Les humains aiment leur mère. Elle prend soin de nous et, en retour, nous voulons prendre soin d’elle avec les valeurs qu’elle nous a transmises. Voici l’incarnation de la réciprocité avec la Terre. Lorsque les enfants grandissent, les mères grandissent aussi. C’est ainsi que nous définissons nos valeurs en relation avec la terre, la Planète et les Aînés. Dans le magnifique espace que nous construisons en Colombie avec le Réseau APAC, nous apprenons également de la Terre-Mère. Tout comme dans les réseaux, tous les éléments de la nature sont interconnectés. Nous rassemblons les éléments et les connexions dans la vie et au sein de ce réseau. Nous savons que prendre soin de la Terre, c’est aussi prendre soin des générations futures, des sœurs spirituelles dans les espaces sacrés et des droits de la Terre-Mère.
Q : Quelle relation particulièrement significative avez-vous eue avec un partenaire (sans nécessairement le nommer) et qu’est-ce qui vous a le plus marqué de cette relation ?
Milka Chepkorir:
Malheureusement, de nombreux Peuples Autochtones n’ont pas beaucoup de relations significatives avec des partenaires extérieurs parce qu’ils nous considèrent comme des personnes qui ne savent pas ce que nous avons ni ce que nous voulons, et nous devons leur prouver notre valeur. Ils pensent qu’ils ont besoin de leurs propres experts pour venir nous dire quoi faire.
En revanche, il y avait cette ONG de conservation qui a voulu aider le gouvernement du Kenya à protéger le territoire dans notre zone. Conscientes des expulsions passées, les personnes de cette ONG sont d’abord venues écouter la communauté, nos expériences et nos priorités. Elles ont reconnu notre territoire (alors même que le gouvernement ne le reconnaît pas) et ont demandé notre éclairage. Cette ONG est ensuite allée voir le gouvernement pour lui partager ce qu’elle avait appris et lui faire part de sa volonté de travailler avec la communauté de la façon dont nous l’avions exprimé. Le gouvernement, enfermé dans un paradigme colonial archaïque, n’a pas voulu soutenir cette démarche. L’ONG a donc décidé de se retirer et de ne pas poursuivre le financement. Elle savait que, par le passé, des ONG avaient apporté un soutien financier qui avait été utilisé par le gouvernement pour expulser des communautés.
Cette relation était significative parce que l’ONG a été honnête et transparente, elle a construit des relations avec nous et s’est laissée guider par nos priorités. Il était également significatif qu’elle ait choisi de ne pas agir lorsqu’elle a constaté qu’il serait impossible de le faire d’une manière qui nous soutiendrait de façon appropriée. Souvent, les partenaires ne comprennent pas qu’il ne doit pas s’agir d’une relation transactionnelle. Ces histoires sont rarement écrites ou partagées publiquement parce qu’elles feraient honte au gouvernement et, par conséquent, nous ne pouvons pas en tirer de leçons.
Paul Sein Twa a raconté l’histoire d’un consultant :
Il m’a écrit et a commencé par me poser des questions, notamment sur les livres qu’il devait lire pour mieux comprendre le contexte et la situation. Il a ensuite appris davantage et est revenu me voir plus tard. Nous avons ensuite élaboré ensemble un plan d’action de qualité. Il a fait ses devoirs et a posé des questions ouvertes. Si vous venez avec des questions, vous aurez des réponses différentes de la part de la communauté. Les bailleurs de fonds et les personnes qui veulent apporter leur soutien pourraient s’inspirer de cette approche.
Nataly Domicó Murillo:
En Colombie, nous avons progressé légèrement dans l’établissement de nos propres règles concernant la manière dont les partenaires universitaires approchent et interagissent avec les communautés. Garantir que les communautés s’approprient le processus et les connaissances a permis de garantir des relations de pouvoir plus horizontales.

TABLE RONDE ÉCLAIR 2 : REDÉFINIR LES PARTENARIATS « TRADITIONNELS »
Modératrice : Inés Hernández travaille pour l’Initiative sur le futur des ONG de conservation en tant que coordinatrice Inclusivité, Diversité et Recherche à l’Institut Luc Hoffmann. Avec une formation en sciences sociales et en conservation, Inés est passionnée par les liens entre la protection de la nature, la justice environnementale et l’intersectionnalité. Elle a commencé un doctorat en géographie à l’université de Cambridge en janvier 2023.
Panélistes :
Jessica Sweidan est une philanthrope active (et créative !) depuis 20 ans. En 2009, elle a cofondé Synchronicity Earth, une organisation caritative basée au Royaume-Uni, et plus récemment, elle a cofondé Flourishing Diversity (Diversité florissante), un réseau centré sur l’interrelation entre la diversité culturelle et biologique.
Minnie Degawan est une Igorot Kankanaey de la Cordillère, aux Philippines. Elle défend depuis longtemps la cause des Peuples Autochtones et travaille actuellement pour l’organisation Conservation International en tant que directrice du Programme pour les Peuples Autochtones.
Adriana Moreira travaille pour le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) en tant que spécialiste senior de la biodiversité et coordinatrice régionale de l’unité des programmes pour l’Amérique latine. Elle a reçu le prix Chico Mendes Florestania et le prix Pirelli International pour son travail en faveur de la conservation et du développement durable de la région amazonienne.
Inés Hernández (Institut Luc Hoffmann) a posé le contexte en partageant des réflexions sur la façon dont nous avons tendance à penser aux partenariats « traditionnels » dans le domaine de la conservation, dans la mesure où les premières entités qui viennent à l’esprit sont les ONG, les bailleurs de fonds et les gouvernements. Il existe une pression croissante pour réimaginer et redéfinir les partenariats et les organisations de manière à respecter et à soutenir véritablement les priorités auto-déterminées des Peuples Autochtones et des communautés locales. Les panélistes de cette table ronde sont des championnes du changement impliquées dans le travail de ces partenaires « traditionnels ». Inés a posé deux questions larges pour alimenter leur réflexion.
Q : À votre avis, quel est le plus grand changement à opérer dans votre secteur pour inaugurer une nouvelle génération de partenariats respectueux et équitables avec les communautés ?
Jessica Sweidan (de Synchronicity Earth) a fait remarqué à la fois les intentions et les obstacles inhérents à un véritable changement de notre mode d’implication :
L’espace physique de cet événement lui-même, malgré des considérations réfléchies et des bonnes intentions, reflète ces obstacles ; nous avons des discussions autour d’une table ronde dans une salle carrée ! Nous voulons changer notre façon de travailler, mais il s’agit toujours d’essayer de faire entrer une cheville ronde dans un trou carré. Certains bailleurs de fonds occidentaux arrivent encore à la table avec des idées préconçues au lieu de s’arrêter et d’écouter comment nous pouvons vous aider et vous soutenir et ce que vous attendez de nous. Nous demandons aux gens de partager la table sans réfléchir à ce à quoi ressemble en réalité cette table, ni changer cela. Nous devons nous concentrer sur une véritable réciprocité et un bénéfice mutuel. Les partenariats sont un pas dans la bonne direction, mais ils sont toujours associés à des échéances. Du point de vue autochtone, les relations sont éternelles ; elles ne sont pas transactionnelles.
Minnie Degawan (de Conservation International) a réfléchi à l’histoire mouvementée du secteur de la conservation :
Lorsque j’ai entendu ma sœur Milka parler des approches coloniales des organisations de conservation, je me suis sentie gênée en tant que femme autochtone, mais j’espère que les choses sont en train de changer. Les ONG de conservation doivent cesser de considérer les Peuples Autochtones comme des bénéficiaires, et plutôt les considérer comme des partenaires, des leaders et des contributeurs à part entière. Trop souvent encore, elles ne voient pas les capacités, les connaissances et les contributions qui vont au-delà des terres et des ressources. Tant que les organisations de conservation n’auront pas compris que les Peuples Autochtones ne sont pas des « bénéficiaires », ces relations ne changeront pas. Les communautés disent qu’elles s’en sortent mieux sans elles. Je constate un certain changement, mais il est malheureusement très lent. Malgré l’histoire de la dépossession et tout ce qui a été perdu, nous [les Peuples Autochtones] ne pouvons pas rester isolés à jamais. Aux organisations de protection de la nature : cessez de nous considérer comme pauvres et ayant besoin d’aide, voyez plutôt comment nous pouvons contribuer. Aux Peuples Autochtones : soyons ouverts à la possibilité de nouveaux types de partenariats avec les organisations de conservation de la nature.
Adriana Moreira (du FEM) a parlé de la nécessité de trouver ce qui fonctionne en termes de changements d’approche pour ensuite pouvoir les généraliser :
Il existe quelques bons exemples de projets financés par le FEM qui soutiennent les droits fonciers et d’accès des Peuples Autochtones et des communautés locales, mais ce sont des exceptions. Le grand défi est de faire en sorte que cela devienne la norme. Le FEM tire des enseignements de ces exemples et commence peu à peu à les intégrer. L’Initiative pour une conservation inclusive, financée par le FEM, travaille avec les organisations de Peuples Autochtones d’une manière qui s’apparente à la façon dont le FEM travaille avec les pays. Cette initiative est sur la bonne voie et sera à nouveau financée dans le cadre de la 8ème phase du FEM. Toutefois, il est possible d’améliorer cette approche. Les valeurs partagées précédemment – respect, réciprocité, humilité, écoute profonde et radicale, et engagement avec les communautés en tant que partenaires (plutôt que bénéficiaires) – ont une forte résonance. D’après mon expérience, je constate que le FEM est en train d’apprendre à s’engager avec les communautés dès le début du processus et non plus seulement à les consulter à la fin. Cela prend du temps et beaucoup de travail, mais il en résulte synergie et durabilité.
Q : Que faites-vous ou que font vos organisations pour mettre en pratique ces changements importants ? Après avoir écouté la première table ronde, quelles perspectives pourraient inspirer votre réflexion ou vos approches pour l’avenir ?
Adriana Moreira a approfondi l’expérience acquise dans le cadre de l’Initiative pour une conservation inclusive :
L’Initiative pour une conservation inclusive est notre projet phare. Nous soutenons actuellement neuf projets dans quatre régions et ces projets sont appelés à se poursuivre et à se développer. Le FEM considère ce modèle de projet comme un moyen essentiel pour impliquer les Peuples Autochtones et les communautés locales plus directement et pleinement en tant que partenaires. C’est une bonne chose, mais c’est aussi un défi en ce qui concerne les échéances et les attentes des bailleurs de fonds. Nous devons nous engager plus tôt dans le processus et disposer de plus de temps, et créer différents types d’incitations pour les projets adoptant cette approche.
Minnie Degawan a noté les écarts de mise en œuvre entre ce qui est écrit dans les textes politiques et ce qui est fait dans la pratique :
Les organisations de protection de la nature ont souvent des politiques qui sonnent bien, mais elles doivent maintenant mettre en œuvre toutes les bonnes choses qui sont dites et écrites. Je doute qu’une organisation de protection de la nature puisse dire qu’elle ne respecte pas le CLIP [consentement préalable, libre et éclairé], mais le défi consiste à le rendre opérationnel. Il y a souvent une grande lacune à ce niveau.
Les organisations de conservation doivent également considérer les Peuples Autochtones comme capables et les laisser diriger. Je parle de quelque chose de distinct du fait de faire partie de la conversation ou d’avoir un siège à la table. Nous pouvons penser qu’ils ne sont pas capables de gérer des projets ou de manipuler des feuilles de calcul, mais peut-être que s’ils dirigeaient réellement, y compris avec leur façon de penser, nous n’aurions pas besoin de feuilles de calcul ou d’indicateurs difficiles à comprendre.
Dans le cadre de l’Initiative pour une conservation inclusive, beaucoup de temps est consacré à aider les organisations autochtones à naviguer et à satisfaire aux réglementations et aux exigences du FEM. Pour que les Peuples Autochtones puissent véritablement diriger, en se basant sur leurs modes de connaissance, nous devons apporter des changements plus fondamentaux au FEM et aux systèmes philanthropiques d’octroi de subventions.
Jessica Sweidan a souligné que Synchronicity Earth vise à combler les lacunes :
Nous n’acceptons pas de subventions et n’avons pas de grande structure. Nous nous intéressons aux paysages biodivers qui ont besoin d’attention et à la manière dont nous pouvons soutenir les personnes dans ces zones, qu’elles travaillent sur les amphibiens, les poissons d’eau douce ou la diversité bioculturelle. Nous nous concentrons sur le soutien direct aux personnes sur le terrain, avec environ 90 projets qui sont minuscules par rapport au FEM et à Conservation International, mais nous les valorisons.
Nous sommes une organisation hybride, entre philanthropie et charité. En fin de compte, il s’agit en grande partie d’une question de conception et de structuration du processus. Je tiens à dire aux bailleurs de fonds qu’ils peuvent prendre ces décisions de conception. Les statuts, les règles et les méthodes de travail peuvent être modifiés. Il s’agit d’avoir la conscience ancrée dans l’organisation et la volonté de redéfinir la façon dont nous donnons et recevons.

TABLE-RONDE ÉCLAIR 3 : TISSER DES RÉSEAUX DE SOLIDARITÉ ET DE SOUTIEN
Modératrice : Holly Jonas est la Coordinatrice internationale du Consortium APAC, une association basée sur l’adhésion qui promeut et soutient le mouvement mondial pour les territoires de vie.
Panélistes :
Karl Burkart est cofondateur et directeur adjoint de One Earth, une organisation à but non lucratif qui s’efforce d’accélérer l’action collective pour résoudre la crise climatique grâce à des avancées scientifiques, des médias inspirants et une approche innovante de la philanthropie climatique.
Oscar Soria est le directeur de campagne d’Avaaz, la communauté militante qui donne les moyens aux citoyens de peser sur les décisions politiques à travers le monde.
Holly Jonas (du Consortium APAC) a souligné que jusqu’à présent, tout au long de l’événement, nous avons entendu les Peuples Autochtones parler de différentes approches et valeurs du partenariat ainsi que des évolutions dans les partenariats conventionnels ou traditionnels. Les Peuples Autochtones et les communautés locales ont également leurs propres réseaux et partenariats qu’ils connectent, amplifient et activent selon leurs propres termes et à leurs propres fins. Cette table ronde éclair met l’accent sur les différentes approches pour soutenir et travailler en solidarité avec les communautés, en tant que parties prenantes de divers réseaux.
Q : Karl, parlez-nous un peu de votre approche de la collaboration avec les Peuples Autochtones et les communautés locales, et de la manière dont cette collaboration s’inscrit dans leurs réseaux de solidarité et de soutien.
Karl Burkart (de One Earth) a fait remarquer qu’une grande partie du travail de son organisation concerne le langage :
Il s’agit de combler les grands écarts entre les langues et les modes de connaissance et de communiquer entre différents groupes. Au cours de cette dernière décennie, 90 % de mon travail a consisté à faire le lien entre la sagesse et les connaissances autochtones et la science occidentale. Nous avons commencé à explorer, il y a quelque temps, comment nous pourrions soutenir et financer les Peuples Autochtones directement et sans intermédiaire. Les cartes sont un outil puissant dans ces efforts. À un moment donné, Amazon Frontlines a déclaré que les communautés avaient besoin de cartes et voulaient que ces cartes leur appartiennent. De nombreuses organisations occidentales utilisaient des hélicoptères, mesuraient et surveillaient les territoires puis établissaient des cartes, mais cela se faisait souvent sans les Peuples Autochtones, ou avec leur connaissance mais sans qu’on leur en donne la propriété. One Earth a travaillé avec une start-up qui a collaboré avec des tribus pour développer leur propre logiciel de cartographie, appelé Mapeo.
En ce qui concerne les réactions des Peuples Autochtones : ils ont été surpris par notre approche. Nous étions nouveaux et n’avions ni préconception ni restriction. Nous avons également appris à être plus patients, à ralentir et à reculer parfois, à nous débarrasser d’un grand nombre d’indicateurs clés de performance et à nous tourner davantage vers la narration d’histoires comme preuve de l’utilisation des fonds. Nous essayons de ramener cette sagesse dans un monde carré et fermé, et de lui donner un impact.
Q : Oscar, nous avons entendu parler de l’appel d’Avaaz à une grande marche publique à Montréal, en marge de la COP15. Comment l’activisme évolue-t-il de votre point de vue ?
Oscar Soria (d’Avaaz) a décrit des stratégies de mobilisation de l’action collective, dont la nature et l’approche de travail sont définies par les besoins et les visions des Peuples Autochtones :
Notre approche commence par ce que nous appelons la « marche pieds nus ». C’est un moyen puissant de mobiliser l’action collective. Nous essayons d’éviter l’activisme extractif ou « extractivisme », le complexe du sauveur blanc et le fait de crier sans écouter. Il ne s’agit pas d’Avaaz : notre mission est d’apporter une voix aux autres et une voie d’accès. Nous commençons par écouter, prendre du recul, apprendre, essayer de trouver la voix principale et nous laisser guider par elle. Souvent, nous ne parlons pas, nous nous contentons d’amplifier. Nous mettons de l’argent à la disposition des Peuples Autochtones pour qu’ils puissent venir dans ces salles et parler pour eux-mêmes. La manière dont nous effectuons le travail dépend des besoins des Peuples Autochtones.
Nous cherchons à maintenir une générosité radicale qui va dans les deux sens. Nous utilisons notre capacité à collecter rapidement des fonds auprès de nos 17 millions de membres pour soutenir les Peuples Autochtones. Au cours des premiers mois de la pandémie de COVID-19, nous avons modifié notre approche et nos priorités pour répondre aux besoins urgents qui se sont présentés. Nous avons dû apprendre à déployer un soutien très rapidement, bien que nous ne soyons pas une organisation humanitaire, en écoutant et en étant réactifs.
Nous agissons de manière désintéressée. Nous n’appelons pas cela un partenariat, nous nous appelons des « rêveurs partagés ». Nous nous concentrons sur l’accompagnement, la construction de la sororité et de la fraternité. Il y a cinq ans, un leader autochtone du Brésil qui essayait d’organiser une marche a dit : « Je n’ai pas besoin de votre argent, j’ai besoin que vous soyez là ».
Q : Quelles sont les prochaines étapes de plaidoyer dans vos domaines ? Quels sont les principaux enseignements que vous tirez des discussions d’aujourd’hui pour votre travail à venir ?
Karl Burkart a souligné l’importance continue et croissante du rapprochement entre la science et l’activisme :
Nous pouvons aider les activistes à se doter de connaissances scientifiques solides pour que leurs demandes soient formulées de manière claire et articulée. Faire les liens et faire la traduction sont les deux aspects les plus importants à ce niveau. Les activistes et les scientifiques sont souvent cloisonnés.
« Protéger » et « conserver » sont des termes lourds de sens et la raison d’être ou la signification des cadres mondiaux qui en parlent n’est pas toujours claire. Nous avons besoin d’un plus grand nombre de récits, et de les diffuser plus largement, pour évoluer vers des espaces vraiment post-coloniaux. Nous sommes ici dans le but d’appuyer ce processus.
Oscar Soria a souligné le caractère personnel de ce travail :
La prochaine étape pour les activistes professionnels est de rendre la situation personnelle – parce qu’elle est personnelle. Tant de leaders et d’activistes autochtones ont contracté la COVID et en sont morts. Nous devons faire entendre la voix de celles et ceux qui ont été perdus.
Nous sommes peut-être des rêveurs partagés, mais nous ne souffrons pas de la même violence. Nous devons être accessibles, ouverts, réactifs, prêts à accompagner, et créer la solidarité. Avec une générosité radicale, tout ce que vous ne donnez pas est perdu. Nous devons prendre des risques, semer la pagaille, faire participer les gens et les rassembler, et, tout au long de ce travail, reconnaître notre position. Nous devons créer un sentiment de solidarité de la part des citoyens ordinaires, et pas seulement des activistes professionnels.
Je comprends la douleur. Beaucoup de gens ont de bonnes intentions mais finissent par oublier, ou ne voient pas leur dette dans ces espaces. La communauté de la conservation a une dette morale qui n’a pas été payée et qui doit l’être. Nous entendons déjà à la COP15 que certaines organisations sont prêtes à mettre de côté les demandes d’approches basées sur les droits humains au nom d’un « compromis » sur la cible 3. D’habitude, nous ne pointons pas du doigt d’ONG spécifiques, mais nous pourrions faire une exception dans ce cadre-là. Nous devons mettre un terme à cette situation et dénoncer ces pratiques.
REMARQUES DE CLÔTURE
Pour conclure l’événement, Holly a invité les panélistes autochtones de la première table ronde à partager leurs réflexions finales.
Paul Sein Twa (du Peuple Karen) :
Je suis heureux d’entendre que les choses changent et évoluent dans la bonne direction avec les bailleurs de fonds et les organisations de conservation. Dans ces espaces où sont rassemblés beaucoup d’ONG et de bailleurs de fonds, il est important de se rappeler qu’au moment où ces bonnes intentions sont mises en pratique, les bailleurs de fonds et les autres personnes cherchant à nouer des partenariats avec les Peuples Autochtones doivent éviter de nous mettre en concurrence les uns avec les autres ou entre organisations pour l’obtention de fonds. Il est également important de ne pas centraliser la prise de décision ou de ne pas compter sur les points de contact gouvernementaux pour orienter les décisions de financement. Nous sommes en conflit avec nos gouvernements, ils ne peuvent donc pas nous conseiller.
Milka Chepkorir (du Peuple Sengwer) :
Il est encourageant de savoir qu’au moins quelques bailleurs de fonds considèrent la conservation de notre point de vue. Cependant, la situation reste déséquilibrée par rapport à ceux qui ont le plus d’argent de l’autre côté. Au fur et à mesure que cette autre voie continue à se développer, j’espère que les organisations de conservation cesseront la compétition pour soutenir les communautés. Au lieu de cela, travaillez avec un plus petit nombre d’entre elles de manière approfondie et significative. Si de nombreuses organisations s’adressent aux mêmes communautés, en se faisant concurrence pour un partenariat et chacune avec sa propre intention cachée, cela crée de la confusion au sein des communautés. Ne vous disputez pas pour avoir les communautés et leurs voix sur vos sites internet. Mettez-vous d’accord avant de venir nous voir.
Les Peuples Autochtones ne sont pas réfractaires au partenariat, mais il s’agit de la même dynamique coloniale se poursuivant de manière plus « douce ». Les conservations communautaires sont juste une version moderne et embellie de l’accaparement des terres. Si le système reste le même et continue à s’accaparer les terres communautaires, nous allons continuer à craindre de nous associer avec qui que ce soit et il ne faudra donc pas s’attendre à des partenariats. Les bailleurs de fonds doivent entretenir des relations significatives entre eux plutôt que de se faire concurrence par rapport à nous. J’espère qu’en tant que Peuples Autochtones, nous allons commencer à tourner le dos aux bailleurs de fonds qui n’adoptent pas les bonnes approches, en leur disant d’aller d’abord résoudre leurs propres problèmes.
Nataly Domicó Murillo (du Peuple Embera) :
Écoutez les communautés avant d’entamer le processus. La conservation est importante mais, dans les territoires de vie, elle émerge des relations entretenues avec la terre et les connaissances ancestrales. Si les dynamiques et les relations colonisatrices et capitalistes sont trop nombreuses ou trop importantes, elles saperont cette conservation. Les communautés doivent continuer à développer des moyens efficaces d’accorder ou de refuser leur consentement et continuer à protéger leurs territoires et leurs visions du monde.
Holly Jonas (du Consortium APAC) a remercié tous les panélistes et les personnes modératrices. Elle a réitéré certains messages clés et certains appels à l’action partagés au cours de l’événement. Elle a notamment souligné l’importance cruciale de l’écoute, de l’apprentissage, du respect, du partage de l’abondance, de la confiance, de la patience, de la générosité radicale et d’une approche continue et coordonnée.
Enfin, Holly a rappelé et mis tout le monde au défi de continuer à se retrouver et à nourrir ces points de connexion et de convergence pendant la COP15. Demandez-vous chaque jour : qu’est-ce que je pourrais faire pour actionner un levier, ici ou là ? Que ce soit lors d’une déclaration en plénière, en s’adressant à un journaliste ou d’une autre façon, nous avons tous du pouvoir. Nous devons tirer ensemble ce pouvoir de notre force collective.
Note : Les remarques des panélistes ne sont pas des citations directes mais ont été paraphrasées et/ou éditées pour plus de clarté. Le Consortium APAC tient à remercier Rafaela Freundt et Sandra Da Silva pour avoir assuré l’interprétation simultanée entre l’anglais et l’espagnol pendant l’événement parallèle. Cet événement parallèle fait partie d’une série d’événements de la COP15 sur le changement des systèmes de financement et des partenariats en faveur des Peuples Autochtones et des communautés locales. Pour plus d’informations, veuillez contacter Holly Jonas (holly.j@iccaconsortium.org).