Categories Afrique, Kenya, Politique d'Alerte

Alerte : Les Peuples Autochtones Ogieks de Mau-Narok sont expulsés malgré deux arrêts de la Cour africaine en leur faveur

Le Consortium APAC condamne fermement cette violence inexcusable à l'encontre des Ogieks et se montre solidaire des communautés affectées et de notre Membre, l’organisation Ogiek Peoples' Development Program (Programme de développement des Peuples Ogieks), dans leur quête de justice

Une des nombreuses maisons détruites de la communauté Ogiek lors des expulsions dans la matinée du jeudi 2 novembre 2023. Crédit : Membre de la communauté.

First published on 11/06/2023, and last updated on 11/16/2023

Par le Consortium APAC
Traduit par Silvia Ritossa

Avertissement : cette alerte contient des informations bouleversantes sur les Peuples Autochtones victimes d’expulsions forcées au Kenya, ainsi que des photos de maisons détruites.


Le 2 novembre 2023, des informations en provenance des Peuples Ogieks de Sasimwani et de Nkareta, dans le comté de Narok, au Kenya, indiquent que le gouvernement kényan est en train d’expulser les communautés de leurs terres ancestrales. Et ce en dépit d’un arrêt de la Cour africaine rendu il y a six ans, reconnaissant la propriété des Ogieks sur ces terres, et d’un autre arrêt de la Cour africaine datant de 2022, spécifiant que les terres doivent leur être restituées. Le Consortium APAC condamne fermement cette violence inexcusable à l’encontre des Ogieks et se montre solidaire des communautés affectées et de notre Membre, l’organisation Ogiek Peoples’ Development Program (Programme de développement des Peuples Ogieks), dans leur quête de justice.

Les Ogieks sont l’un des Peuples Autochtones de chasseurs-cueilleurs du Kenya. Ils vivent à l’intérieur et autour du complexe de Mau, leur territoire ancestral qui a été conservé et géré par les générations passées et actuelles, et qui continue de l’être aujourd’hui, grâce à leurs systèmes de connaissances autochtones.

Le 26 octobre 2023 est le jour où les Ogieks ont été informés de leur possible expulsion de leurs terres ancestrales dans le comté de Narok. Cette information a été communiquée par le biais d’un avis public du ministère de l’environnement et le début des opérations a été confirmé par les Kenya Water Towers Agencies (les agences pour les chutes d’eau du Kenya) via un message sur Facebook. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’agit d’une nouvelle inattendue pour la communauté. En effet, depuis plusieurs mois, le Peuple Ogiek a suivi la mise en oeuvre de l’arrêté de mai 2017 de la Cour africaine des droits humains et des peuples, selon lequel les Ogieks sont les propriétaires de ces terres, et l’arrêté de juin 2022 de la Cour africaine, qui ordonne au gouvernement kényan d’entreprendre un processus de démarcation et de délimitation afin de restituer les terres aux Ogieks. Pour plus d’informations sur cette affaire, cliquez ici.

Daniel Kobei (Ogiek Peoples’ Development Program) s’exprimant sur Al Jazeera le 26 octobre 2023 au sujet des expulsions imminentes. Crédit : OPDP via X (anciennement Twitter)

Dans une lettre adressée au public, l’organisation Ogiek Peoples’ Development Program (Programme de développement des Peuples Ogieks, OPDP, Membre du Consortium APAC) a exprimé ses inquiétudes quant au fait que cette expulsion soit encouragée ou alimentée par les fonds de conservation alloués à la protection des chutes d’eau du Kenya, dont fait partie le complexe de la forêt Mau. Depuis le début des expulsions, les médias ont pu confirmer que celles-ci étaient liées à un marché sur le carbone signé entre le gouvernement du Kenya et l’entreprise de compensation carbone Blue Carbon, basée à Dubaï. Il est très préoccupant de constater que, même si les Ogieks ont demandé justice et que la restitution de leurs terres est soutenue par des décisions de la Cour africaine, le gouvernement du Kenya menace d’expulser les propriétaires ancestraux de ces terres, prétendument au nom de la « conservation ». Pourtant, les Ogiek sont les véritables protecteurs et défenseurs de leur territoire ainsi que de la terre, des forêts, de l’eau, de la faune et de la flore et de tous les autres dons de la vie qui s’y trouvent.

Depuis l’avis d’expulsion du 26 octobre, les Ogieks – par l’intermédiaire du Conseil des sages et de la direction de l’OPDP – ont tenté de contacter de nombreuses instances gouvernementales, des commissions indépendantes telles que la Commission nationale kényane des droits humains, la Commission nationale pour l’égalité entre les genres et la Commission de la justice administrative. Les sages qui sont allés chercher de l’aide auprès de ces commissions et instances ont exprimé leur inquiétude quant au fait que le soutien ou l’assistance ne sont pas facilement disponibles.

Les tentatives de rencontre avec le gouverneur du comté de Narok ont été infructueuses, car il aurait évité toute réunion et discussion avec les sages des Peuples Ogieks.

John Sironga, président du conseil des sages des Peuples Ogieks, s’élève contre les menaces d’expulsion. Crédit : Community Land Action Now via YouTube

Lors d’une interview accordée à une chaîne de télévision nationale kényane, la secrétaire d’état à l’environnement, au changement climatique et aux forêts a indiqué que les opérations actuelles visant à expulser les communautés des forêts se poursuivraient. Selon elle, ces opérations visent à aider le gouvernement à protéger les forêts, alors même que les Kenyans ont participé à l’exercice national de plantation d’arbres le 13 novembre 2023. D’après ses réponses, le gouvernement kényan prévoit d’intensifier la militarisation de la conservation des forêts et de maintenir les Peuples Autochtones hors des territoires auxquels ils appartiennent. Elle a mentionné des plans visant à ce que les expulsions soient sans retour en arrière possible, avec l’érection d’une clôture autour des forêts et des zones humides. Tout cela va à l’encontre de l’arrêt de la Cour africaine, de l’engagement du Kenya à protéger les droits des Peuples Autochtones et des principes des droits humains. Il est regrettable de voir cette haute fonctionnaire rester muette quant au sort des Peuples Autochtones, malgré l’avis du médiateur demandant au gouvernement de cesser d’expulser les Ogieks de leurs terres ancestrales. L’institution nationale des droits humains, la Commission nationale des droits humains du Kenya, a demandé la même chose au gouvernement le 6 novembre 2023.

La secrétaire d’état à l’environnement s’exprime sur la plantation d’arbres nationale à l’antenne de Citizen TV. Écoutez l’extrait entre 18:43 et 21:43. Crédit: Citizen TV Kenya.

Dans la matinée du 2 novembre, plusieurs membres de la communauté ont signalé des expulsions forcées ainsi que la destruction et l’incendie de leurs maisons, comme le montrent les photos ci-dessous, partagées par l’OPDP via X (anciennement Twitter).

Le Consortium APAC est très préoccupé par les traumatismes intergénérationnels et les impacts psychosociaux, les violations des droits humains, la crise humanitaire et les souffrances des peuples Ogieks résultant des expulsions, et condamne les expulsions quelle que soit la raison invoquée. Le gouvernement du Kenya s’est engagé à respecter et à mettre en œuvre les droits de tous les Kenyans, y compris ceux des Peuples Autochtones. Cela inclut notamment les droits à leurs terres, les droits d’accès et d’utilisation d’un environnement propre, les droits à l’eau et à d’autres ressources naturelles dont ils disposent en tant que Peuples Autochtones forestiers. Ces droits ne sont pas seulement revendiqués par les Ogieks, ils sont également reconnus par la Constitution du Kenya de 2010 et par plusieurs lois régionales et internationales que le Kenya a ratifié. En outre, la Cour africaine a spécifiquement ordonné au gouvernement kényan de remédier aux nombreuses violations des droits humains dont les Ogieks ont déjà été victimes, et de ne pas répéter ces violations.

Si les expulsions sont effectivement liées à la protection des chutes d’eau de Mau, nous condamnons fermement l’utilisation continue du paradigme de la conservation de forteresse, ainsi que l’usage d’une conservation de type militaire et armée contre les Ogieks. D’autres Peuples Autochtones du Kenya, notamment les Sengwer, sont confrontés à des menaces et à des violations similaires au nom de la conservation. Des études menées dans le monde entier ont montré que les terres gouvernées et gérées par les communautés selon leur mode de vie autochtone ont de meilleurs résultats en matière de conservation que les terres gérées selon d’autres modèles de conservation, y compris les zones protégées par l’état.

Nous sommes solidaires des Ogieks et demandons instamment au gouvernement kényan de respecter les demandes de la communauté et d’y répondre pleinement :

  • Arrêter avec effet immédiat les expulsions des Ogieks vivant à Sasimwani et Nkareta et leur permettre de vivre et de conserver leurs propres terres ancestrales en paix.
  • Respecter pleinement les décisions de la Cour africaine et restituer les terres des Ogieks afin de garantir leur dignité en tant que Peuple.
  • Honorer et respecter l’engagement de protéger les droits humains pour tous, et en particulier ceux des communautés minoritaires et marginalisées comme les Ogieks, et de reconnaître et soutenir de manière appropriée la conservation par les Peuples Autochtones et les communautés locales dans le cadre de la Convention des Nations unies sur la Diversité Biologique.
  • Collaborer avec les Ogieks et les autres Peuples Autochtones du Kenya pour atteindre les objectifs de conservation du pays avec eux, plutôt que de les exclure – surtout physiquement – de leurs territoires par des expulsions, par de la militarisation et autres tactiques préjudiciables.
  • Accueillir les sages des Peuples Ogieks qui demandent l’intervention de différentes instances et commissions du gouvernement, et écouter, respecter et soutenir leurs priorités et leurs façons de maintenir et de conserver leur terre – au sein desquelles ils ont vécu depuis bien plus longtemps que toute autre autorité.

Agissez

Nous encourageons tout le monde, et en particulier les citoyens du Kenya, à être solidaires des Ogieks en signant cette pétition sur Change.org et en partageant des messages sur les réseaux sociaux avec le hashtag #IStandwiththeOgiek (#JeSoutienslesOgieks) et en mentionnant l’organisation Ogiek Peoples’ Development Program.

SUIVEZ LES DERNIÈRES ACTUALITÉS (en anglais) :